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Quand le soleil retombe en pluie

Roman

1986

Inédit

Présentation

Premier texte écrit pour participer à un concours littéraire (organisé par ALF, Arts de Lettres de France, Bordeaux).

Premier texte écrit, en fait, si l’on excepte les ébauches de ma grande saga inachevée commencée l’année précédente, en 1985… et le roman ébauché en 1970 en attendant la naissance d’Olivier.

Un petit garçon chargé de surveiller ses deux frères plus jeunes, pendant que la maman travaille. Séparée du père des enfants, elle s’est mise en ménage avec un homme plus jeune qu’elle. Pas toujours faciles, les relations, dans un ménage recomposé. À l’école non plus, d’ailleurs. Le gamin est amoureux d’une petite fille, il a un ennemi jaloux, qui ne recule devant rien pour lui nuire, et tout cela pourrait bien finir par un drame. Les enfants vont jusqu’au bout de leurs passions… amoureuses ou criminelles.

Le thème : un amour d'enfants, et les tempêtes qu'il peut susciter tant chez les adultes que chez les enfants de leur entourage. Avec une montée en suspense et une disparition inquiétante. On y aborde aussi les difficultés rencontrées par les couples d'adultes.

Ce roman s’est vu attribuer un Deuxième accessit aux A.L.F., ce qui m’a encouragée à poursuivre dans cette voie de la création, toute nouvelle pour moi, où je cessais de n’être que la femme de et la mère de, où j’avais une existence propre, une activité qui m’appartenait, un plaisir gratuit et tellement valorisant !

Laisser parler l’imaginaire, inventer des mondes… et les laisser vivre.

Je ne l’ai jamais relu. C’est un premier jet, écrit à mes moments perdus (volés !). Il devrait sans doute être débroussaillé.

Extrait

Bien carrée dans son fauteuil de cuir, Madame Gilbert, la directrice de l’école du Petit Bois, considère le gamin qu’on a envoyé en punition dans son bureau. Le petit Jimmy. Ce n’est pas la première fois que son instituteur, Monsieur Cloutesse, le lui envoie. Il sème la pagaille dans la classe, paraît-il… Il n’a pourtant pas l’air bien terrible, ce petit bonhomme. Il n’est pas grand, mais, même puni, il garde la tête haute et le regard franc. Rien d’une terreur ou d’un galapiat sournois.

- Qu’est-ce qui t’amène chez moi ? Tu t’es encore battu ? fait-elle, avisant la chemise déchirée.

- C’est toujours moi, rétorque le gamin en haussant les épaules.

- Pourquoi, Jimmy ?

- Ce salaud d’Henri Chevalier disait des saletés sur ma mère ! Voilà pourquoi !

- Des saletés ? fait la directrice, surprise.

- Que c’est une « pute » parce qu’elle est avec un « mec » plus jeune, qu’elle est vulgaire, qu’elle va bientôt « faire le trottoir ». Et que moi, je suis son « larbin » parce que je fais le travail à sa place à la maison et que je m’occupe de mes petits frères.

- Comment sait-il tout ça, Henri !?

- C’est sa mère qui le dit, mais c’est pas vrai !

- Ce n’est pas une raison pour se battre comme des chiffonniers.

- Alors, je dois le laisser dire !

- Il ne peut pas t’insulter ni insulter ta maman, bien sûr. Mais tu ne peux pas te faire justice toi-même, ça ne marche pas ainsi. Il faut en parler à ton instituteur, et c’est à lui d’agir. Pas à toi.

- Pff… Henri dira que c’est pas vrai, et Monsieur le croira, il le croit toujours parce que c’est un bon élève et qu’il fait semblant d’être sage.

- Ta maman a quitté ton papa. Ce sont des choses qui arrivent. Ils ne s’entendaient peut-être plus...

Elle s’aventure là en terrain sensible. Mais elle voudrait comprendre ce gamin blessé et aider l’instituteur à garder le calme dans sa classe.

- Ta maman avait ses raisons et… et elle est heureuse, sans doute, de voir que tu peux l’aider.

- Oui. Mais c’est difficile pour elle, parce que Marc n’a pas de travail, il fait son service militaire. Alors, Maman a beaucoup de soucis, elle n’a pas beaucoup d’argent, elle travaille, elle n’a pas le temps.

- Elle rentre tard et elle est fatiguée ?

- Oui. Alors, c’est moi qui dois m’occuper du goûter de mes frères, de leurs devoirs, de leur douche.

- En somme, c’est toi qui les élèves ? fait la directrice en souriant.

- Oui, fait-il, les yeux brillants.

- Et ils t’obéissent ?

- Non. Mais Maman ne se fâche pas contre eux, elle dit que je suis l’aîné et qu’elle compte sur moi pour faire régner l’ordre.

- Et ton papa, tu le vois souvent ?

- Non. Il dit que puisqu’elle est partie, qu’elle se débrouille, avec son Marc et les enfants !

- Il te manque ?

L’enfant baisse les yeux sans répondre, mais il est évident que oui. Seulement, peut-il le dire sans charger sa maman ?

- Et le nouveau mari de Maman, tu l’aimes bien ?

- Elle n’est pas mariée, rétorque-t-il vivement.

Elle note une nuance de satisfaction dans la voix de l’enfant. Il doit penser que tout n’est pas perdu, si elle n’est pas mariée.

- Avant, il était chouette, on s’amusait bien avec lui. Mais maintenant, quand il vient en permission, il veut faire la loi chez nous, et qu’on lui obéisse, comme si c’était lui notre père !

- Et tu n’aimes pas ça ?

- Non, fait il, catégorique. Si Papa n’est pas là, c’est moi le chef de famille. Maman l’a dit.

Entre l’ombre du père absent, les attentes de la mère surmenée, les bêtises des petits frères et la révolte contre l’intrus… il reste peu de place pour une vie scolaire normale.

[ … ]

Des pas résonnent dans le couloir. On frappe à la porte. Trois petits coups polis. Madame Gilbert se lève et ouvre le battant d’un geste large : « Oui ? »

Une dame mouillée au joli sourire se tient dans l’entrée, la main sur l’épaule d’une fillette ravissante.

- Bonjour Madame, je viens inscrire ma fille Nathalie.

Elle marque un temps d’arrêt, pousse en avant la dénommée Nathalie, qui ne montre guère d’enthousiasme.

- Elle a dix ans, elle sera en cinquième, je pense ?

Jimmy contemple la frimousse de la fillette, ses yeux pâles, ses cheveux blonds où perlent des gouttes de pluie. Elle serait dans sa classe ! Son cœur se met à cogner quand les yeux de la fille se posent sur lui d’un air interrogateur.

- Tu as de la chance, Nathalie. Voici justement un élève de cinquième. Il va te faire visiter l’école et te présenter à ta classe et à ton instituteur.