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Femmes en souffrance

Recueil de poèmes

Éditions du Coudrier

2009

98 pages

12 €

Présentation

Prix Delaby-Mourmaux, attribué en 2008 par l’AEB (Association des Écrivains belges). Le jury se composait de Joseph Bodson, Michel Ducobu, Jean Dumortier, Anne-Michèle Hamesse, Marie Nicolaï et France Bastia, présidente du jury.

Publié aux Éditions du Coudrier en 2009 - Double préface, de Marie Nicolaï et Michel Ducobu - Illustrations d’Olivier Fable

* * *

J’avais envie de parler du bonheur des femmes, mais rien ne me venait – ne jamais forcer en poésie… Je me sentais plus inspirée par leurs souffrances, tout ce qui avait besoin de s’exprimer, ces souffrances criantes ou au contraires sournoises, cachées, niées.
Une première série de textes date de 1995. Une deuxième salve m’est venue en 1996.

J’ai repris l’ensemble des textes plus tard, les ai distribués d’une autre façon, en trois sections selon leur teneur : femmes en souffrance, femmes en balance, femmes en partance. Avec une lueur d’espoir en final.

Le manuscrit a été primé et ensuite édité en 2009 par Joëlle Billy (éditions du Coudrier).

Extrait

  • Bascule
  • Laminoir
  • Amour filou
  • La femme nue
  • Les doux amers
  • Et l’amour est écume

(les six premiers poèmes de la première série - 1995)

Bascule

la brusque au coin du rire
la bascule sans bruit

miracle de l'instant
qui passe
et vertigine

la plaque au saut du cœur
l'effleure de routine

et l'éteint
sans savoir

le temps passe
et déjà
le cercueil
insolent

Laminoir

femme qui rouille
et se verrouille
au hamac de ses illusions

amour passé au laminoir
du temps qui passe
et qui repasse

sucre impalpable des secondes
agglutinant la vie
en flocons charbonneux

Amour filou

amour fou
amour filou
dans le flou
de nos errances

cavalcades débridées
jambes ouvertes
sur l'azur

minuscules brins d'enfance
où le rêve
a la vie dure

La femme nue

la femme nue dans l'encrier
sous sa pelure de silence
se rêve de cristal
sein de velours et de dentelle
ouverte et verticale
posée sur les abords
des désirs frémissants

Les doux amers

les doux amers de nos émois

perchés sur les montagnes russes
et les casse-tête chinois

passent nos cœurs au bleu de Prusse

femme en cascade

qui décroche
et se fracasse

et se croustille
sur les écueils
et les éclipses
de la vie

Et l'amour est écume

l'inceste bleu de la mémoire
l'incertitude funambule
saluant le destin
en habit d'Arlequin

les gouttes de passé
figées fragiles et froides
comme les larmes des bougies
dans le grand chandelier de vie

et l'amour est écume

Revue de presse

Dans Nos Lettres n°11 - novembre 2008

Isabelle Fable, venue sur le tard à l’écriture, quand ses enfants eurent grandi, est déjà titulaire de nombreux prix : concours Pyramides, concours organisé par la Revue générale, un roman primé et publié à Paris.

Isabelle Fable, c’est une voix. Ou plutôt un cri. Le cri des femmes qui n’ont pas eu l’occasion, suite à ce qu’il est convenu d’appeler pudiquement les ’circonstances de la vie’, dirons-nous les ’choses de la vie’ ?, de se réaliser pleinement. De toutes celles qui portaient en elles ce don précieux de l’écriture et qui ont osé crier, gémir, se plaindre, mettre en accusation l’éternel masculin.

La moquerie est facile ; il est facile aussi de rejeter dans un passé révolu cette querelle qui, en fait, ne vous en déplaise, messieurs, est toujours actuelle. Passé révolu ? Mais il est un fil rouge qui, dans notre littérature, va de Marie de France et Louise Labé à Marcelline Desbordes-Valmore, à Louise Michel, à Flora Tristan, à bien d’autres aujourd’hui.

Notre époque, férue de modes nouvelles, et qui abhorre les rappels et les redites, peut bien rejeter cette plainte, qu’elle soit sourde ou à voix pleine, au rayon des vieilles lunes. Il se trouvera toujours une femme, que ce soit au 13e siècle ou au 21e, pour relever le gant. Pour redire, à toute force, l’inacceptable.

Et quoi d’étonnant si cette plainte revêt une forme très classique, sans fioritures, sans accroche-coeur, bien loin de tout hermétisme ? Ici, métaphores vives, allitérations, effets de rythme, recherche de vocabulaire n’ont rien d’hermétique. Tout bois est bon à brûler et tout alimente le même foyer. Ce sont les mots même du quotidien qui alimentent le foyer. Et si parfois la plainte nous fait mal, à nous aussi, nous gêne et nous dérange, n’est-ce pas que nous sommes allés trop loin, peut-être, dans le sens de la légèreté et de la futilité ?

Comme disait le bon François, Homme, ici n’est point de moquerie. Tout est réel ici, c’est la vie de tous les jours, celle devant laquelle trop souvent, nous nous fermons les yeux, nous nous bouchons les oreilles. Écoutons-la encore, cette musique un peu aigre, un peu crissante :

Femme saumon

et la femme est saumon
qui se lance
à l’assaut des cascades
vole à contre-courant
dans le vent noir de pluie
pour vous donner la vie
avant de s’effacer
les ailes repliées
dans le creux d’ un rocher
et de s’éparpiller
en flocons de néant

Non, décidément, la poésie ici n’est pas un vain jeu de mots, ni un amusement mondain, ni le simple ornement de comices littéraires. La poésie a tout simplement les accents, les hauts et les bas, les graves et les aigus, toutes les rudesses de la vie.

Honni soit qui mal y pense.

Joseph Bodson

Dans Nos Lettres n°11 - novembre 2009

Femmes en souffrance
trop souvent restent à quai
rêves en rade
toutes voiles allumées

annonce, en épigraphe de En souffrance la première partie du recueil, suivie de En balance et En partance. Mais ces quatre vers auraient pu se trouver en épigraphe du recueil entier, tant il résume et reflète la souffrance, le désenchantement et le silencieux appel au secours des femmes, dont Isabelle se fait ici le porte-parole.

À se rêver

Emmaillotée de jours passés
à se rêver
se désirer
à dériver entre deux eaux
entre les seaux
et les berceaux
à écoper quand on prend l’eau
à empiler tous les vieux rêves
dans le tréfonds d’un grand panier
car un jour on aura le temps
Et le temps passe sur son radeau

Le poids de l’homme, dit Michel Ducobu dans sa préface, sa violence, son égoïsme, son regard sur la femme... sont-ils devenus plus faciles à supporter aujourd’hui ? On en doute fort… à lire Femmes en souffrance en effet, hélas.

Mais il est aussi d’autres regards que ceux-là ! Je songe, par exemple, à celui de Jean Dumortier dans son récent Claire ou le goût du bonheur, à Roger Foulon évoquant sa femme dans son dernier recueil… mais aussi, chères consœurs, à tous ces hommes, ni pesants, ni violents, ni égoïstes, mais délicats et délicieux et qui rendent si beau le temps passé ensemble sur le radeau !

Les poèmes si poignants de Femmes en souffrance méritaient bien le prix Delaby-Mourmaux mais si Isabelle Fable nous écrit un jour prochain un Femmes en bonheur, voilà qui nous mettra un peu de baume au cœur et lui ouvrira certainement un autre de ces prix dont son talent est coutumier !

France Bastia

Dans Reflets n° 22 - novembre 2009

On aurait pu croire naïvement que le féminisme triompherait définitivement en ce nouveau siècle et que le règne du mâle s’effondrerait enfin sous les coups de la femme victorieuse, partout célébrée, sur les écrans, les affiches, les pages pâmées des magazines… Mais ce serait fermer les yeux sur une vérité hélas ! universelle. La femme demeure en souffrance dans beaucoup trop de moments de sa vie et ne se libère pas à coups de slogans ou en prenant les devants d’une aventureuse libéralisation des mœurs. C’est à quoi nous fait réfléchir, durement parfois, Isabelle Fable, dans son style si personnel, si imagé, qui, curieusement, rappelle parfois celui de Brel, qui n’était pas, lui, particulièrement féministe…

Femme qui rouille, qui se consume dans l’amour vorace, femme délaissée, écuelle éculée que l’on brise au talon, mère atterrée de voir le sort cruel que l’on réserve à ses enfants, à ses fils que l’on sacrifie sur l’autel des guerres, fille violée sous les coups du sagouin

On le voit, l’homme n’est guère épargné par l’auteure, même si elle rêve encore et toujours d’amour fou, d’amour filou, d’évasion vers les étoiles, d’une échappée qui la délivrera et qui se vivra, non pas dans un rapport de forces, mais dans l’échange, l’étreinte débridée, sans bride, au cœur d’un fragment d’éternité.

Échapper à la belle œuvre du grand mâle, éviter le piège du beau ciseleur de mots, sans se priver de croire encore au fabuleux voyage à deux, seul rempart peut-être contre le mal de vivre, le désespoir de survivre vaille que vaille, de vieillir vieille que vieille et de finir un jour en partance, sur le quai fatal. C’est là, dans ce combat, ce tourment quotidien, que le cœur de la femme balance et appelle, attend qu’on l’écoute et l’apaise.

Un recueil poignant, qui nous remet la femme en face, à hauteur de notre honneur d’homme.

Michel Ducobu

Dans La Libre Belgique du 3 mai 2010 - rubrique Poésie

Le mot en question

C’est du mot que va s’emparer Isabelle Fable, et revoir avec lui ce qu’on appelle le temps qui passe, les attitudes, visages, rôles ou destins. Le mot bref, ciblé, qui nous bascule du côté de ’Femmes en souffrance’. Et nous remet (sans jeu de mot !) dans la fable où ’mer’ et ’mère’ sont en connivence, où le temps passe sur son radeau, où les mots jouent avec eux-mêmes, même au moment où la mort s’espadrille.

Luc Norin

Présentation du recueil au Grenier Jane Tony par Jean Dumortier le 20 mars 2010

Dans la longue suite d’échos parlant de la féminité depuis les événements de 1968, ce recueil tient une place particulière, s’inscrivant comme un reflet lumineux de la poésie, où l’amertume tout à fait justifiée est exprimée sans ménagement et sans quiproquo. Femmes en souffrance, femmes en balance, femmes en partance, les trois thèmes du recueil. Pour chacun d’eux, Isabelle Fable dit tout haut et en toutes lettres de feu ce que beaucoup de femmes pensent tout bas. Cris du cœur, cris des tripes, qui ne sont pas pour autant privés d’effluve poétique.

l’amour épaule et tire à vue
les plumes volent
et les palombes se dissolvent
au sable blême de l’oubli

J’ajoute… de l’oubli chez les hommes, les femmes n’oublient pas. Il y a des cicatrices qui ne se referment pas… Recueil sombre, où l’espoir des jours décantés se tient à peine sur les doigts d’une main. Mais le mince espoir reste dans la constellation comme un regard sur la Petite Ourse par une nuit d’été. Regard sans fard d’une femme solidaire de la souffrance des siens et qui n’attend ni prières ni slogans ou pommades de bonimenteurs pour faire face au destin. Recueil des femmes qui ont gardé le silence et s’y sont enfermées jusqu’au cancer…, parfois jusqu’à la mort. Écrire, c’est parfois être porte-parole. La poésie, c’est cela aussi : garder l’émotion sur un fil tendu appelant plus à la réflexion qu’au chant.

Présentation du recueil à l’AEB par Dominique Aguessy le 18 mai 2011

Dominique Aguessy commence par interroger Isabelle Fable à propos de la genèse de ce recueil. En fait, il a été écrit en deux fois ; comme souvent, Isabelle Fable a été motivée par un concours ; elle voulait écrire sur l’amour, mais, l’inspiration ne venant pas, elle a décidé de prendre le contre-pied de ce thème…

Suit la lecture d’un poème, La vieille. La femme, nous dit l’auteure, plus que l’homme, est poussière et le sait. Son corps se détériore plus vite ; sa force, c’est de le savoir. Pour sa part, elle ne croit pas en une fin définitive, l’âme, comme le corps vers la matière, retourne dans un psychisme collectif.

Un autre poème, très dur, Framboise écrasée, évoque une femme battue par son mari en présence de ses enfants, ce qui est la négation totale de la femme, en tant que mère aussi. Un poème très dramatique, avec cette façon, bien dans la manière d’Isabelle Fable, d’aller au fond des problèmes.

La présentatrice souligne le fait qu’elle parcourt souvent des thèmes proches avec des touches différentes. Ainsi, le thème du temps qui court, avec une pointe d’autodérision. C’est un recueil de la compassion et de la protestation. Oui, enchaîne Isabelle, je ressens fort ce que les autres vivent. L’animal, la plante même, peuvent souffrir, comme les humains. Une seule règle : le respect pour la vie, sous toutes ses formes. Il ne s’agit ni de revendications, ni de vengeances.

Elle allie compassion et justice : il faut les entendre à l’intérieur de nous-mêmes. Elle évoque alors un passage de la préface de Michel Ducobu : Chacun s’en va avec ses questions. Homme et femme sont des êtres complémentaires. Pour Dominique, l’état du monde est une relation d’harmonie et de confrontation.

Mais l’homme a toujours tenu le haut du pavé, reprend Isabelle. Le mâle doit s’affirmer, le femme est prise dans la chaîne de l’enfantement, l’homme se retire du processus de procréation. Mais il ne peut pas être dominant partout. Pourquoi, d’ailleurs, faut-il absolument dominer ?

Le monde évolue, note Dominique. Quelle place restera-t-il pour le bonheur, l’amitié ? Il faut se garder d’affirmations souvent trop fortes. Le débat ne peut être clos.

Elle souligne, dans l’expression d’Isabelle Fable, l’économie de mots et d’images. Il y a évolution dans le recueil, enchaîne l’auteure, du plus noir au plus serein. Et elle évoque Gabriel Ringlet, à propos de la souffrance partagée.

Une vision dramatique et doloriste du monde, traduite dans un langage immédiatement accessible, et dans laquelle la présentatrice a su pénétrer avec beaucoup d’empathie, tout en cherchant à la tempérer quelque peu… Mais si la souffrance est transmissible, l’apaisement l’est-il au même degré ?

Avis d’un poète

Le feu se trouve dans chaque vers de ce poignant recueil auquel tu as donné le jour. Et ce feu qui se dégage brûle dans les mains et chauffe le cœur de celui qui le lit. Naturellement je parle de mon expérience. Rarement j’ai lu des propos si réalistes, si justes et si bien exprimés (avec un lyrisme fort et profond) en parlant de la condition des femmes (de la femme universelle). Il faut être femme et vivre consciemment dans le monde fait par (et pour ?…) les hommes pour décrire la situation et les sentiments des femmes qui subissent leur conception tel que tu le décris. C’est à vous, oui, les femmes poètes, de dénoncer cette situation pour que petit à petit (ou à grands pas) puisse changer de direction une fois pour toutes. C’est à dire pour que les hommes reconnaissent le rôle essentiel des femmes, qui n’est autre que celui de la complémentarité - d’égal à égal - pour faire un monde juste où l’amour soit la base de toutes les relations humaines. Je sais que c’est une utopie, un tel regard sur le monde ; mais s’il n’y a pas des voix comme la tienne, on se retrouverait aux temps des pharaons ou du Moyen-Age.

Nemesio Sanchez

Avis d’une poétesse

J’ai lu Femmes en souffrance. Vos poèmes sont superbes, me touchent beaucoup et me serrent souvent le cœur. C’est assez extraordinaire de pouvoir exprimer avec tant de beauté et de sensibilité vraie des sujets si durs.

Martine Rouhart