Fermer

Mes cris de mandragore

Recueil de poèmes

écrits en 1989

inédit

Présentation

Recueil tout en contrastes. Des cris de désespoir, de révolte intense, de souffrance devant le mal qui serre et emprisonne, puis, tout aussi puissants, l’apaisement, la sérénité, le bonheur, à trouver dans les plus petites brindilles de vie… Le recueil balance de l’un à l’autre, une fois la douleur exprimée, la place est libre pour autre chose.

Apprendre à accepter la face noire de la vie, mais refuser l’intolérable et agir contre lui.
Puis savourer la vie, telle qu’elle est, hérissée de piquants.

Extrait

Amertume

valériane
empoisonnée
qui s’empoussière
dans la pierre et les fleurs en papier doré

la mer
épaisse et nue
s’ourle d’écume claire
éclat de vie dans le désert

je rêve d’un ailleurs
mais cette nuit me colle au cœur
étrange sentiment d’un instant de cristal
fiché comme un éclat dans un cœur de métal

fureur de vivre et de mourir
fureur de ne
pouvoir
créer

pourtant si forte en moi la lave
l’eau noire et lancinante
qui rampe muselée
dans sa froideur
de nuit

l’eau verte
qui serpente
et s’insinue
comme un serpent
glacé d’ennui

murailles
plus grandes que le collier de Chine
avec ses pierres dures
plus vieilles que les momies d’Égypte
avec leurs muscles secs
plus dures que tous vos cœurs de pierre
amoncelés

les autres
murs d’indifférence
je rampe face à vous

seule

je grimpe
et je retombe mille fois
chenille glissant sur branche noire

mais quand mes ailes auront poussé
tomberont toutes
vos murailles

alors
je pourrai m’envoler
et rien ne m’en empêchera
j’irai gambader sur vos toits

la lave aura tout fait sauter
l’eau verte aura tout emporté

ma vie ne sera plus qu’un voile
épanouie
poussière d’étoile
un souvenir embroussaillé
évanouie

il ne restera d’amertume
que quelques mots sur un papier
et la poussière
de la lune

Attente

Un soleil d’or écrase le ciel d’amiante fluide
Coulée de plomb fondu sur les rêves des hommes
Et la chaleur qui pèse
Digitales d’argile sèche s’élargissant au sol
En fissures imprécises
Le vent chaud s’effiloche
Aux branches noires de la soif
Prés craquelés se tuméfiant
Herbes séchées foulées au vent
Fournaise ardente, souffle dément

Attente

Et voilà le soleil qui s’esquive et s’estompe
Soudain dissipé dans les flous nuageux
Par magie, il s’infiltre en amorce de pluie

Qui bientôt se déverse en averse qui perce
S’incline et crépite et pétille sur la pierre

Claque la pluie d’orage sur le sol dur et sec
Et l’arbre échevelé se tord en implorant
Sous la pluie de safran qui lui coule du tronc

Comme serpents luisants qui se lovent au sol
Les flaques s’ovalisent et l’eau se change en boue
Le ciel se saigne à blanc pour féconder la terre

Et le bruit fulgurant du tonnerre et du vent
Distille dans la poussière et crache sous l’auvent
Que la vie de cristal se pétrit dans la boue
Dans le sang, la souffrance et l’effort violent

Narget

Que de crimes on commet en ton nom
Dieu barbare issu du fond des âges
Sanguinaire, exigeant et menteur

C’est Narget, le dieu aux mille bouches
Avalant sans frémir vos cœurs secs et cornés
Chaque jour engraissé de vivantes fournées
Il grandit et se rit de vous pauvres robots

Comme on tue, on dépouille, on renie, on torture
Et la vie et la joie, les enfants, la nature
S’effacent devant toi en fantômes brûlés
Sacrifices inhumains dévastant la planète

On engraisse, on écorche, on abat, on saccage
L’oiseau au pilori n’est que moule à foie gras
Encagées en cercueil avec le cul qui passe
Les poules ne pondent plus que des œufs déjà morts

Les renards, loups dorés ou lapins argentés
Massacrés sans pitié pour que brille la femme
Parée sans nul remords de la peau des martyrs

Et l’enfant qu’on écrase avant qu’il ne soit né
Entre pouce et index comme un pou malfaisant
Le bon sens s’est enfui, l’amour est en fumée
Et chacun ne voit plus qu’au miroir de son nez

L’homme se croit le maître et il n’est qu’un esclave
Il court derrière son ombre et le sol court sous lui
Pose un doigt sur son crâne et le sol l’engloutit
Un petit clown est mort et la vie continue

Tu règnes en souverain, ô Narget, ô Grand Maître
Tous te sont dévoués dans le plus grand secret
Ton visage est une ombre, il est même interdit
De prononcer ton nom ou de te regarder dévorer la planète
O mon divin vampire, tout-puissant Dieu Argent

Le pays de la soif

Ces gaillards nus de bronze
Allant sous le soleil
Habillés de poussière
Et pétris de famine

Et ces bœufs faméliques
Aveuglés de soleil
Appelant l’eau des yeux
Et de leur panse flasque

Et cette herbe qui craque
Écrasée de soleil
Ces oiseaux de silence
Griffant en vain l’azur

Le pays de la soif
Couleur de sécheresse
Goûte l’air immobile
La terre hurle de soif

Du creux de ses entrailles
Monte l’appel à l’eau
Poussière ocre lumière
Dansant face au soleil

Implacable bourreau
Disque blanc se promène
En gardant sous le bras
L’outre gonflée d’eau bleue

Pitié soleil pitié
Lâche l’eau sur la terre
Laisse venir la vie
En perles de lumière

Abreuve tes enfants
Dont la peau se fendille
Dont la tige s’écaille
Et le cri se déchire

Figure de proue

la mer respire à grand fracas
et se mutile sur la grève
et les galets luisent au soleil

le sable dort chaud sous le vent
et la mer danse à flots mouvants

le soleil brise en mille éclats
sa chape d’or livrée sans trêve
et les nageurs luisent au soleil

les voiles filent au ras de l’eau
comme de grands oiseaux troublants

le vent me chuchote à l’oreille
tous les secrets de l’océan
et les embruns luisent au soleil

je me dresse en figure de proue
face à la mer et face au vent

symbolisant l’homme de boue
si fier en face du géant

Bonheur d’être

Être
Être simplement
N’être même qu’un mouton sous le poids de sa laine
Ou ce brin de muguet câliné par la brise
Un insecte éphémère butinant l’ombre chaude
Être la pierre blanche ou la nuit veloutée

Vivre
Bonheur d’être
Et d’entendre la vie parmi tous les bétons et les rêves des hommes
Le plongeon d’un canard visitant l’eau fermée
Ou le chant des oiseaux qui laminent l’azur
Entendre respirer la ferme au crépuscule

Écouter frissonner les fleurets de la vie
Et flairer les parfums papillonnant au vent
Ouvrir la bouche en grand pour recueillir l’orage
Et les gouttes élargies s’écrasant mollement
Sur la terre assoiffée qu’elles colorent de noir