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Alarme à l’œil

Nouvelle écrite en 2007

Parue dans le recueil ’A.l.armes’ chez Luce Wilquin (2007)

Une enquête de l’inspecteur Toussaint

L’inspecteur Toussaint reçoit la plainte d’un homme venu signaler l’alarme du réveil qui sonne sans arrêt chez sa voisine du dessus. Ce n’est pas que ça le dérange, mais il craint qu’il ne soit arrivé quelque chose. Car il connaît la vie de sa voisine par cœur, c’est si mal insonorisé. Et la voisine a une vie plutôt dissolue… mais régulière.

Présentation

Un homme très agité vient signaler à la police que le réveil de sa voisine continue de sonner en journée et que ce n’est pas normal. Car il sait exactement à quelle heure elle se lève et coupe la sonnerie de son réveil. Donc, fatalement, il a dû arriver un malheur. Un réveil qui sonne, fait anodin, n’est pas pris au sérieux dans un commissariat…
Mais la suite donnera raison au voisin tracassé, et il incombera à l’inspecteur Toussaint de reconstituer les faits, qui semblent assez sordides.

Cette nouvelle a été écrite dans le cadre du concours de nouvelles organisé par la Police de Liège en 2007. Elle est l’une des nouvelles lauréates et a été publiée à ce titre dans le recueil A.l.armes édité par Luce Wilquin en 2007. Réception au Musée d’Ansembourg à Liège, où les Prix ont été remis.

Extrait

Le gars semble choqué. Son nez frémit et il s’exclame :
- Je ne suis pas un voyeur ! C’est mal isolé. J’entends. Mais je ne vois pas.
- Vous imaginez…, c’est mieux. Écoutez, Monsieur, rentrez chez vous. Et si c’est trop insupportable, eh bien ne rentrez pas, allez faire un tour. Il fait beau. C’est dimanche.
Le jeune homme se déplie maladroitement, hésite à tendre la main au policier, et quand il s’y résout, il la retire très vite. Toussaint a le temps de la sentir moite. Tout ce qu’il déteste, les mains moites. Quand le gars a tourné les talons, il s’essuie les mains à son pantalon. L’autre fait de même dans le couloir et s’éloigne les épaules basses.

Le lendemain, à la première heure, l’inspecteur voit rappliquer l’énergumène, plus fébrile que jamais, mal rasé, le cheveu en pétard, l’œil hagard. Le réveil sonne toujours ! Il n’a pas fermé l’œil de la nuit et se tracasse à mort. Il se tord les mains et refuse de s’asseoir.
- Vous avez sonné chez elle ?
- À quoi bon ? Il est arrivé quelque chose, c’est sûr. Il faut envoyer quelqu’un. S’il vous plaît.
- La police ne se déplace pas pour un réveil qui sonne ! Votre voisine est peut-être partie en vacances tout simplement.
- Impossible, je ne l’ai pas entendue sortir sa valise du placard. Ça fait un gros boum à mon plafond.
- Et il n’y a pas eu de gros boum ?!
- Non.
Touché par la candeur du bonhomme, l’inspecteur appelle son adjoint.
- Fagot, accompagne donc monsieur, il craint qu’il soit arrivé malheur à sa voisine, qui vit seule.
- Vieille ? fait Fagot, très professionnel.
- Non, plutôt écervelée, le genre à s’attirer des ennuis. Vas-y voir.
- Bon, on va voir ça. Venez, vous me raconterez en route. Je m’appelle Yvan.

Toussaint regarde sortir Fagot, son précieux acolyte, qui, mine de rien, prend les choses en mains. Il saura calmer ce zigoto malade d’inquiétude et de jalousie… Sa voisine a osé s’en aller sans l’en aviser… Pas facile, la vie, pour ce genre de gars boutonneux du cœur et du museau… Toussaint ne connaît pas ces affres. Il est beau, il plaît aux dames et c’est un atout majeur dans son métier d’enquêteur car elles ont toutes envie de lui raconter. Ce qu’elles savent… et ce qu’elles ne savent pas… À lui de démêler le vrai du faux.

Fagot a préféré marcher plutôt que prendre son véhicule garé en plein soleil. L’air saturé de senteurs lourdes suffoque un peu mais quoi, c’est la rançon de l’été en ville. Le gars n’habite pas loin. Fagot le fait parler de la fameuse voisine qui lui occupe le ciboulot. Elle s’appelle Marilyne, s’il vous plaît, et mène une vie très libre. Ce qu’il en pense ? Oh, rien, elle mène la vie qu’elle veut. Mais, si elle fait souvent la nouba, c’est dans des plages horaires très strictes. Après le travail. En semaine, elle quitte son appartement à huit heures dix, il l’entend passer dans l’escalier. Non, il n’y a pas d’ascenseur. Elle rentre le soir vers dix-sept heures trente, quarante. Là, c’est moins précis car elle fait des emplettes alimentaires. Ensuite, c’est réglé comme du papier à musique. Questions pour un champion, puis les casseroles dans la cuisine. Parfois un coup de sonnette, si quelqu’un vient partager son repas. Sinon, le coup de sonnette après le lave-vaisselle et alors, c’est directement dans la chambre.
- Et vous suivez l’évolution des choses…
- C’est à dire… quand j’ai pris mon repas, je m’installe dans ma chambre, je lis, je fais des mots croisés, j’écoute la télé...
- En sourdine, pour ne pas déranger ?
- Bien sûr. Ce n’est pas une H.L.M. mais c’est quand même une H.M.P.M. Alors j’évite de faire du bruit.
- Une H.M.P.M. ?
- Habitation aux murs de papier mâché.

Revue de presse

Dans Inédit n° 218

Le concours organisé, tenez-vous bien, par la Police Locale de Liège, avec un jury composé pour moitié d’écrivains amateurs de polar et pour l’autre moitié... de policiers !

Le résultat vaut le détour, que ce soient les cinq primés ou les autres. L’éditeur ne s’y est pas trompé en publiant quinze nouvelles dont très peu m’ont légèrement déçu.

J’ai retenu Isabelle Fable et Yves Jadoul, en plus d’un Jean Jour, que j’apprécie depuis longtemps et du "grand prix" Sarah Berti, vraiment digne d’un bon Simenon, surtout par la très grande humanité qu’il manifeste [...] Ce petit livre de nouvelles intitulé A.l.armes est dès à présent un plaisir.

Paul Van Melle

Reflets Wallonie-Bruxelles
A.l.armes - collectif de nouvelles policières - Luce Wilquin - collection Noir Pastel

A[l]armes… La première chose qui interpelle, c’est la présentation du titre. Haché en trois tronçons, ce qui le rend mystérieux, impénétrable, inquiétant, parce que compliqué. Il faut le décrypter. C’est qu’il se décline en plusieurs phases, ce titre. Alarmes, larmes, armes.
Nous trouverons dans ce recueil quinze nouvelles d’inspiration et de ton très variés, insistant sur l’un ou l’autre aspect du thème imposé. Les unes centrées sur les événements, les autres sur ce qui les provoque ou les sous-tend. Les unes sur un ton très rude et ras du gazon, les autres sur un ton plus léger ou plus profond, mais toutes lourdes de souffrance et de réponse à cette souffrance.
On passe de l’une à l’autre, abordant autant de lieux, de thèmes, de sensibilités et de styles différents. L’unité du recueil réside dans cet assemblage de vies brisées, recollées tant bien que mal, où chacun fait ce qu’il peut pour coller à son idéal de vie et dissoudre ses problèmes.
Comme le titre en tronçons nous le suggérait, il y a rupture. Entre les ambiances, entre les gens, entre le bien et le mal conventionnels, entre celui qui sait et celui qui cherche, celui qui agit et celui qui subit, celui qui tue et celui qui meurt.
De quoi se poser des questions sur l’âme humaine et ses ressorts.

Isabelle Fable

Sur les ondes : Antipode Brabant wallon 105.5 FM
Coup de cœur littéraire du 14/10/07

Concours organisé par la Police de Liège

À l’aide de ces nouvelles, explique le Président du Jury dans la préface, il est intéressant de susciter l’imaginaire des citoyens autour du métier de policier, d’envisager la complexité de ce métier sous une apparence de fausse simplicité.Alors les amoureux du polar, ceci est pour vous, parce que ces nouvelles sont originales et toutes assez captivantes. On a l’impression de lire quinze petits romans policiers finalement, parce que les intrigues, très différentes dans le ton, sont en général bien menées et le suspense garanti.
Impressionnant, d’installer un climat, de respecter les règles du genre en si peu de pages. Tous ces auteurs talentueux y arrivent et vous tiennent en haleine.

Geneviève Renard