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Les belles vénéneuses

Nouvelle écrite en 1992

Inédite

Une enquête de l’inspecteur Toussaint

Le maire est trouvé mort dans son bureau. Le médecin légiste conclut à un empoisonnement. Qui avait intérêt à voir mourir Julien Demoulin ?

Une enquête dans laquelle s’enfonce et s’embourbe l’inspecteur Toussaint. Il découvre peu à peu les secrets d’une famille. Des secrets de plus en plus troublants.

Une enquête à la Simenon, fouillant le psychisme et le passé des proches de la victime pour découvrir la vérité sur cette mort

Deux prix

Présentation

En cas d’empoisonnement à domicile, les soupçons se portent immédiatement sur les proches – et notamment sur la personne qui l’a trouvé mort, qui est la dernière à l’avoir vu vivant et qui lui a apporté sa tisane la veille : Clémence, la servante.

Mais la famille reste en lice, et c’est un véritable nid de guêpes que va découvrir l’inspecteur Toussaint.

Les proches sont interrogés les premiers, mais l’inspecteur est vite amené à élargir son champ d’investigations, car l’homme semble avoir eu une vie ténébreuse et s’être fait pas mal d’ennemis.

Extrait

Comme il n'était pas là pour avoir peur d'un chien, il reporta toute son attention sur l'étrange personnage qui lui faisait face, immobile, les mains croisées sur le pubis, et qui le sondait de son regard glacé. Curieuse petite bonne femme.
- Madame Demoulin, pouvez-vous nous laisser seuls, je vous prie ? Et toi, Fagot, va donc interroger un peu les villageois.
Toussaint croyait à la vertu de la confrontation muette, où le suspect perd peu à peu ses défenses devant le silence de l'enquêteur. Il feignit d'ignorer Clémence pendant un bon moment, planté devant la fenêtre, les mains dans le dos, à observer Fagot qui discutait avec les badauds de l'air le plus sérieux du monde, scrutant tout de ses doux yeux de myope, si bleus, si doux qu'on ne s'en méfiait pas mais qui n'oubliaient rien de ce qu'ils avaient vu.
L'inspecteur se retourna d'un bloc pour surprendre Clémence, dont il sentait le regard noir planté entre ses omoplates comme un couteau. Elle ne broncha pas. Il l'observa sans un mot pendant une minute encore comme si elle eût été un objet. Mais ce fut lui qui baissa les yeux car, contrairement à ses suspects habituels, Clémence Dupin se laissait regarder sans agacement et sans gêne. La longue habitude d'être un objet, sans doute, pensa Toussaint, vexé de ne rien tirer de cet examen préliminaire.
- Asseyez-vous donc ! Racontez-moi comment ça s'est passé.
Clémence expliqua comment elle avait apporté à son maître la tisane qu'il prenait chaque soir. Depuis quand ? Oh, depuis une quinzaine de jours. Oui, c'est ça. Depuis qu'il était allé consulter à Bruxelles. Pourquoi il y était allé ? Il avait mal dans les poumons. Non, il n'avait pas de médicaments, elle l'aurait vu puisque c'est elle qui s'occupait des repas, des chambres et de la salle de bains. Pas de médicaments. Mais des tisanes. Venues d'où ? Elle n'en savait rien. Un mélange de plantes qu'il avait ramené de Bruxelles sans doute. On ne vendait pas les plantes du Bon Dieu à Bay-les-Etangs. Seulement des médicaments. Mais ça, Mr Julien n'en voulait à aucun prix.
- Il était malade ?
Clémence garda le silence mais ses petits yeux rétrécirent davantage jusqu'à ne laisser filtrer qu'un filet de lumière noire.
- Il était malade ? Il faut me le dire. Je le saurai de toute façon.
- Il devait être malade puisqu'il était allé à l'hôpital. Et puis, ces derniers jours... il se comportait d'une manière... bizarre.
- Comment ça, bizarre ?
- On aurait dit qu'il n'avait plus sa tête. Il racontait des choses qui n'avaient pas de sens. Je… je crois qu'il devenait fou, ajouta-t-elle en baissant la voix.
L'inspecteur considéra avec pitié le visage ingrat qui se levait vers lui, les mains posées à plat sur le tablier. Les vilains petits yeux noirs fixaient un point sous le bureau. Probablement le chien, qui semblait calme à présent. Toussaint n'aurait quand même pas risqué un mouvement et luttait contre l'envie de se balancer sur sa chaise.
- Vous l'aimiez bien, Mr Demoulin ?
- Moi ?! Je le détestais !
Les yeux se sont levés avec la vivacité de l'éclair et ont plongé dans ceux de l’inspecteur. Un serpent. Un vrai cobra, l'élégance en moins.
- Pourquoi ?
Les joues de Clémence s'empourprèrent, ses yeux étincelèrent et Toussaint se sentit comme épinglé sur son fauteuil.
- Ca ne vous regarde pas.
L'inspecteur considéra gravement la servante en fureur. Se rendait-elle compte de la situation ? Demoulin était mort empoisonné. Elle était la dernière à l'avoir vu vivant, la première à l'avoir vu mort. C'est elle qui lui avait apporté la tisane suspecte et elle affirmait n'avoir entendu personne ouvrir la porte du bureau, qui grinçait si fort que ça l'éveillait si par hasard on l'ouvrait dans la nuit. Et voilà qu'elle clamait sa haine pour cet homme - et il était évident qu'elle ne mentait pas quand elle disait le haïr. Elle s'enfonçait elle-même.
- Vous êtes contente qu'il soit mort ?
- Ça m'est égal.
- Vous savez ce qui arrive aux assassins ?
Clémence soutint son regard et il se sentit troublé.
- Vous allez me mettre en prison ? Oh, je ne serai pas plus mal qu'ici. Je travaillerai moins.
Elle bomba les épaules et fixa son regard sur le tapis.