À l’orée du bois
Écrit en 2003
Publié dans le recueil Clair d’étoiles (mini-édition personnelle, épuisée) en 2011
Conte pour remettre les choses à leur place
À l’orée du bois vit un garçon qui se prénomme Nestor. Les seuls métiers qui lui plairaient seraient orfèvre, orpailleur, corsaire ou chasseur de trésors... Tous ces mots où l’on perçoit un reflet d’or, comme un écho ! L’or, c’est une obsession. Mais, s’il y pense tout le temps, il n’en a pas. Il demande à Dieu de lui en donner. Commence alors un long périple au pays de l’or, mais ce n’est pas tout rose, loin de là.
Présentation
L’or fascine Gustave, à tel point qu’il renonce à son prénom pour se faire appeler Nestor, qui sonne mieux à ses oreilles et semble le prédestiner à un nid d’or… Certain d’en être digne, il prie Dieu de le pourvoir en métal précieux, et se met en quête de son bonheur doré.
Extrait
C’est qu’il se sent roi, Gustave. Ses parents ont eu le choix des rois : un fils suivi d’une fille. Mais la fille est terne, noiraude, effacée et n’aime que l’étain, la pénombre, l’étang sombre au crépuscule. Et ses parents ont eu le mauvais goût de l’appeler Aurore ! Aur-or ! Deux fois dorée ! Alors qu’elle est plutôt éteinte.
L’or est dans toutes les bouches. Ne dit-on pas l’Age d’Or, un cœur d’or, le nombre d’or, la règle d’or… Même le pétrole, cette mélasse puante, est appelé l’or noir ! Et l’eau, l’or bleu. Quel calvaire pour notre Gustave ! Car, s’il voit de l’or partout, il n’en a pas et rêve d’en avoir. Il s’adresse à Dieu, qu’il adore, comme il se doit. Devenir Midas, n’est-ce pas la solution ?
- Que mangeras-tu, lui répond Dieu, si tout ce que tu touches se transforme en or ?
Gustave doit bien admettre que ce n’est pas l’idéal. Dieu lui propose alors deux voies pour trouver de l’or. L’une, escarpée, étroite et rocailleuse, l’autre en pente de sable doux. Gustave naturellement choisit celle-ci.
Le voilà qui s’engage sur le sable, prêtant l’oreille dans l’espoir d’entendre bientôt les pièces cascadant dans la mer mordorée. Mort dorée… Comme si la mort jamais pouvait être dorée… Le chemin tout à coup change d’aspect. Les grains ne sont plus doux, ils sont gros, pointus, piquants. Gustave se baisse, et n’en croit pas ses yeux. Ce sont des pépites ! Il marche sur des pépites d’or ! Il en prend plein les mains, s’en fourre dans les poches et dans la chemise, à même la peau. Ça pique, mais qu’est-ce que c’est bon, de se faire piquer par l’or !
Un ornithorynque soudain lui file entre les jambes. Le garçon perd l’équilibre et tombe à la renverse dans un fossé rempli d’orties. Un orvet se glisse à ses pieds, lui enlace les chevilles, comme un piège herbacé. Gustave prend peur. Il appelle au secours ! Une main se tend vers lui. Il la saisit, sans se préoccuper de sa forme ou de sa couleur. Car la main est plutôt bizarre. La paume très longue, les doigts courts et crochus. Il lève la tête. Et couine de peur. Car ce qu’il a devant lui, qui le tire hors du fossé, ce n’est pas un homme, c’est un singe. Un grand orang-outang. Un homme des bois, comme disent les indigènes de Malaisie, qui voient en lui un frère.
- Seigneur, murmure Gustave atterré. Viens à mon secours.
- De quoi te plains-tu, lui répond Dieu. Tu voulais de l’or. Voilà l’homme le plus orangé que j’aie
pu trouver. Il va te guider dans les méandres de l’or.
- Mais ce n’est pas un homme, c’est un singe, gémit Gustave. Il me fait peur.
- Quelle différence ? Ne me dis pas que tu n’as jamais eu peur des hommes ? Quand on a de l’or, crois-moi, il faut apprendre à avoir peur. L’or pique, mais surtout l’or se pique…, fait Dieu, riant de son bon mot.