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La petite sorcière de la colline

Écrit en 1990

  • Publié dans le recueil Clair d’étoiles (mini-édition personnelle, épuisée) en 2011
  • Publié dans l’Intégrale des contes primés de 1994 à 2000 au Prix de l’Eau Noire
  • Publié dans le recueil des lauréats du concours du CEPAL en 1996

Conte pour aimer

Gwendoline dérange, avec sa taille de lilliputienne, ses longs cheveux blancs flottant au vent et ses yeux verts, qui vous transpercent et vous effacent. Les humains semblent sans consistance à ses yeux. Sans existence. Pourtant, elle les voit, et elle les aime, surtout les beaux garçons. Mais, eux, comment pourraient-ils l’aimer ?
Un jour, les villageois décident d’en finir, et s’arment de fourches et de haine pour venir la voir.

Conte plusieurs fois primé

Présentation

Une petite sorcière, toute mignonne mais mal aimée, car elle fait peur : elle ne parle pas aux gens, mais bien aux cailloux, aux brins d’herbe et aux oiseaux des champs, ce qui est signe de folie ou de diablerie ! On lui attribue des pouvoirs, maléfiques bien entendu. Mais elle ne fait de mal à personne, jamais. Elle aime les gens, elle ne leur parle pas, c’est tout. Comme nous, ne parlons pas aux cailloux ou aux brins d’herbe.

Elle habite seule en forêt, elle est un élément de la forêt, comme les arbres, les fleurs et les animaux sauvages, qui, eux non plus, ne parlent pas… Et ça ne dérange personne.

Extrait

Et Gwendoline est amoureuse. Depuis cent cinquante ans, elle est amoureuse sans espoir. Tantôt de l'un, tantôt de l'autre. Mais l'homme qui lui plaît ne la regarde jamais comme une femme, comment voulez-vous ? Il se marie et il vieillit. Alors elle en regarde un autre. Et puis un autre. Et tel un oiseau blanc, l'amour de Gwendoline se pose sur l'épaule des jeunes gens mais lui revient toujours sans avoir fait son nid.

Ces jours-ci, elle est amoureuse d'un jeune Grünwald aux yeux pleins de soleil, aux mèches folles, au sourire éclatant. Elle l'a regardé en face, comme une femme amoureuse regarde l'homme qu'elle aime. Son regard a plongé dans l'âme du jeune homme comme en une eau profonde. Et l'oiseau blanc s'est agrippé au cœur nu du garçon. Grünwald s'est senti troublé, si troublé qu'il ne peut s'empêcher de venir rôder sur la colline, rêver à ce qui se dissimule sous ces voiles minuscules. Ah, si elle n'était pas si petite ! Si elle n'était pas si vieille ! Si elle n'était pas si sorcière !

Il a vu les enfants lui rendre des visites interdites, il a vu les oiseaux et les mulots partager la vie de la sorcière. Il s'est senti jaloux et malheureux, tout grand, tout seul dans son buisson, exclu. Il l'a vue s'attaquer au piège qui avait brisé la patte d'un renard. Dérisoire fragilité de la volonté d'amour face aux mâchoires d'acier. Elle s'est assise près du renard qui souffrait, a gémi avec lui en caressant le pelage secoué de frissons. L'animal s'est calmé, s'est allongé, le museau sur les pattes, les yeux clos. Gwendoline a chanté et sa voix minuscule emplissait toute la forêt, faisant vibrer jusqu'aux arbres pensifs. Elle s'est agenouillée, les yeux au ciel, a poussé une clameur puissante en empoignant les mâchoires de métal et les a écartées.

[...]

Déjà les villageois s'avancent, armés de fourches et de bâtons. Le braconnier marche à leur tête. Horrifié, Grünwald voit l'un d'eux heurter de sa poigne velue la porte fragile et coller son œil gras à la petite ouverture en forme de cœur.

- Je vais la faire sortir de sa tanière, cette sorcière qui pactise avec les mangeurs de poules !
Grünwald surgit de son buisson :
- Qu'est-ce que vous lui voulez ? Elle n'est pas là !
- Qu'en sais-tu, toi ? Et d'abord, que fais-tu là ?
- Je me promène. C'est défendu ?
- Près de la sorcière ! À la nuit tombée !
- Quelle sorcière ? Cette petite femme n'est pas plus sorcière que vous et moi.