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Europe funambule

Article écit en 2016

Inédit

Article écrit pour la revue Marginales sur le thème « ValEurope refuge ».

Il n’a pas été sélectionné pour parution.

La petite Europe, si densément peuplée, de peuples si variés, riche de civilisations, face à l’avancée des pays émergents, aux migrations incontrôlées, minée par ses propres dissensions, en équilibre sur le fil de l’avenir…

Présentation

Sur cette improbable combinaison de mots, on pouvait broder de différentes façons.
J’ai misé sur les difficultés évidentes que rencontre l’Europe, qui ne feront que s’accroître à mon avis au fil des années, vu l’accroissement de son volume et la disparité de ses éléments.

L’article dans son entièreté

L’Europe, la plus petite des cinq parties du monde, mais si peuplée, riche de ces populations qui sont venues s’y échouer, comme des sédiments, vague après vague, au cours des millénaires, bloqués par l’océan dans leur progression vers l’ouest… L’Europe se veut aujourd’hui une et indivisible. Mais l’est-elle ? Utopie ou réalité ?

Selon une étymologie fantaisiste – je ne suis pas linguiste – j’y vois, de part et d’autre d’un R léger comme l’air, les racines grecques EU et OPS, j’y vois l’Europe incarnant la « bonne parole », soufflée comme un Évangile, et l’espoir de voir ces populations, qui se sont heurtées, déchirées, brassées, écrasées, dominées les unes les autres dans des conflits sanglants au cours des siècles, trouver enfin un équilibre satisfaisant pour tous… On peut rêver.

La petite Europe tente de se constituer en un corps solide pour contrebalancer les poids lourds du reste du monde. Quels sont ses atouts ? Le ciment que constituent la chrétienté et ses valeurs morales, assorties d’une démocratie relativement bien respectée et de valeurs sociales relativement généralisées dans les différents pays qui la constituent. Mais ces pays ont bien du mal à parler d’une seule voix. Les cultures sont différentes, les langues, donc les pensées, sont différentes, les tempéraments, les mentalités, les intérêts sont différents, la religion même n’est pas pratiquée partout de la même façon. Les nationalités et individualités ont tendance à renâcler et à renaître sous le couvert d’une unité peut-être un peu factice, rationnelle si l’on veut, mais pas vraiment ressentie au profond des êtres.

L’esprit européen me semble bien morcelé, bien fractionné, bien fragile en somme, dans un monde où chacun veut à tout prix s’épanouir, se réaliser, être heureux, et tire la couverture à soi. L’union fait la force, sans doute, mais la cohésion, élément essentiel de l’union, est indispensable et, à mon avis, est loin d’être assurée. L’aspect économique, l’équivalence des niveaux de vie, la rationalisation des politiques provoquent des remous dans les esprits et dans les cœurs.

On reste ce qu’on était, belge, français, allemand, grec, avant d’être européen, et c’est inévitable. L’esprit de clocher demeure toujours vivace, même d’un quartier à l’autre, d’une rue à l’autre. L’ingérence de l’Europe dans les ménages particuliers des pays crée des tensions, parfois de l’exaspération.

Déjà tellement hérissée de piquants internes, l’Europe voit à présent d’autres problèmes se profiler. Outre les très nombreux pays qu’elle a accueillis au cours des années, au risque de chavirer sous le poids des incompatibilités et de la bureaucratie de plus en plus envahissante, elle doit faire face aujourd’hui à une islamisation latente et à un flux incessant de réfugiés, qu’elle se sent une obligation morale d’accueillir et d’intégrer.

Ces nouveaux éléments sont un défi de taille. Différentes religions coexistent en Europe depuis longtemps, mais la condition de cette coexistence est la tolérance mutuelle, qui pourrait être compromise. La radicalisation d’une certaine fraction de population rend la coexistence plus aléatoire et difficile à gérer au niveau politique et au niveau humain. Elle est vécue comme une menace.

D’autre part, le flux d’immigrants ne risque pas de se tarir, mais au contraire, a toutes les raisons de s’amplifier. Qui a mis dans la tête de centaines de milliers de gens que l’Europe était un paradis prêt à les accueillir, que la corne d’abondance était inépuisable, que le vase n’allait jamais déborder sous le flot ? Quand ils arrivent avec pour tout bagage leur espoir et leur bonne volonté, qu’il leur faut logement, meubles, vêtements, nourriture, écoles, lieux de culte et de culture, et bien sûr, un emploi, pour assurer ensuite leur subsistance et s’intégrer, plutôt que de vivre en greffons indésirables… espèrent-ils vraiment que cette manne leur tombe du ciel ? Qui va leur fournir tout cela ? Et comment ? La capacité d’absorption est forcément limitée.

L’Europe n’est pas au bout de ses peines. Elle a un défi énorme à relever dans tous les domaines. Fidèle à ses principes d’ouverture et d’humanisme, elle veut bien. Mais elle ne peut pas. Du moins, ne peut que dans une certaine mesure. Comment concilier tout cela ? Etre le refuge des exilés du monde, la nouvelle terre d’une religion qui se veut unique, le paradis économique qu’elle paraît aux yeux des « pauvres », sans s’écraser sous le poids de ces nouvelles données et annuler tous les progrès réalisés ?

L’Europe est à un tournant majeur de son existence. Elle entend défendre ses valeurs, celles qui justement attirent tous ces demandeurs d’asile, mais qui risquent fort de se voir balayées par le trop-plein d’exigences et de demandes de tout ordre.

Le challenge tient en trois mots pour l’Europe funambule : trouver l’équilibre entre cœur et raison. Rester humaine, garante des droits et libertés élémentaires. Mais rester viable pour tous ses citoyens, les anciens, qui l’ont construite, les exigeants, qui revendiquent, et les désespérés, qui en espèrent tout. Cela n’arrangerait personne que le nid douillet qu’elle est censée être pourrisse et redevienne un champ de bataille larvé.

On y croyait. On veut encore y croire. Et faire l’impossible pour concilier l’inconciliable.